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Plus de 40 années après l’arrivée de quelques graines au Conservatoire botanique national (CBN) de Brest et une disparition en nature une dizaine d’années plus tard, le maintien en vie de Cylindrocline lorencei a été un long chemin semé d’embûches mais qui se termine de la plus belle des façons aujourd’hui avec son retour en nature.

Tout ceci a été rendu possible grâce à une multitude d’acteurs, en passant par Jean-Yves Lesouëf, conservateur de 1975 à 2006, pour ses observations et la collecte de graines, les équipes du conservatoire d’hier et d’aujourd’hui  (services international et ex situ), les jardiniers de Brest métropole qui entretiennent les collections au quotidien, les partenaires techniques extérieurs (INRAe de Ploudaniel, Vegenov à Saint Pol de Léon, NPCS à l’Ile Maurice) et financiers (Arche aux plantes, CEPF, Klorane botanical Foundation, LafargeMauritius Commercial Bank, le grand public, avec un financement participatif) et le gouvernement mauricien.


Cylindrocline lorencei réintroduction 2024 © MCB

 

Une disparition déclarée en 1990

Dans les années 70, Cylindrocline lorencei est connue pour être en danger critique d’extinction à l’Ile Maurice. En 1982, lors d’une première mission sur l’île, Jean-Yves Lesouëf, fondateur du CBN de Brest décide alors, avec les autorisations des instances mauriciennes, de collecter des graines et des boutures sur les deux plants subsistant dans une unique station naturelle située à Plaine Champagne, dans l’espoir de procéder à un sauvetage de l’espèce. Les premières graines semées dès l’arrivée au conservatoire donnent de très beaux plants, et par mesure de sécurité une partie de ces plants est envoyée dans différents jardins botaniques à travers l’Europe et le monde (Cambridge, Kew, Edimbourg, Tafira, Funchal, Waimea et Nancy).  En 1990, l’espèce est déclarée éteinte en nature.

 

Les biotechnologies au secours des plantes

À cette même période, malgré les efforts menés pour maintenir et multiplier les plants en culture au sein des différents jardins botaniques, l’espèce disparaît également en culture. Il ne reste donc plus de plants vivants de Cylindrocline lorencei. Seules subsistent quelques graines du lot collecté en nature stockées en banque de graines à -18°C au Conservatoire de Brest. Des nouveaux semis sont réalisés à partir de ces graines mais ne donnent hélas aucun résultat. Stéphane Buord, qui travaille alors au service de la conservation ex situ au conservatoire, décide de réaliser un test de coloration vitale sur quelques graines afin de s’assurer de la viabilité des graines stockées. Les résultats montrent alors que certaines graines possèdent des embryons vivants mais avec une réserve de la graine qui elle ne l’est pas, ce qui empêche donc l’embryon de germer par lui-même. C’est alors grâce à l’utilisation des biotechnologies, et plus précisément la culture in vitro, réalisée en collaboration avec l'INRAe de Ploudaniel qu’il réussit en 1993 à régénérer trois plantes entières en réalisant du sauvetage d’embryon. La technique consiste à extraire les embryons de la graine, à les désinfecter et les placer en culture stérile sur un milieu gélosé avec des substances nutritives pour permettre à l’embryon de se développer. Il s’agit alors d’une première mondiale au service de la conservation de la biodiversité.

Ces trois jeunes plantules issues de culture in vitro ont pu être acclimatées et cultivées au conservatoire durant plusieurs années pendant lesquelles les protocoles de culture et de multiplication se mettent en place. Malheureusement, aucune floraison n’est encore observée.


Bourgeons axilaires pour micropropagation © C. Gautier (CBN Brest)

 


Acclimatation de vitro plants © Charlotte Dissez (CBN Brest)

 

De l’innovation au protocole de culture

Au début des années 2000, les plants commencent à nouveau à dépérir en culture malgré tous les efforts pour les maintenir en vie. Une première floraison observée en juin 2004 fait renaître l’espoir, mais hélas des graines collectées ne donnent aucune germination après semis. Les essais de multiplication par bouturage ne donnent eux non plus aucun résultat, ceci est probablement dû au vieillissement des plants. Une nouvelle fois l’issue semble inéluctable.

Le Conservatoire tente de se rapprocher une nouvelle fois des biotechnologies végétales et de la culture in vitro, avec le soutien du laboratoire Vegenov.  Les premiers essais réalisés sur du sauvetage d’embryons ne donnent pas de résultats, mais des essais sont menés en parallèle sur de la micro-propagation de la plante à partir de bourgeons axillaires. Cette technique donne cette fois-ci des premiers résultats.

Entre 2006 et 2010, un protocole de culture in vitro est alors établi, allant du type de matériel végétal utilisé pour la multiplication, en passant par les étapes de désinfection, introduction en culture in vitro, multiplication, enracinement et acclimatation (sortie du milieu stérile et mise en terre).

Après plusieurs années de travail et d’expérimentation, Il devient alors possible, à partir d’un bourgeon axillaire de Cylindrocline lorencei, de produire en deux ans plus d’une centaine de plants.

L’espèce peut alors être considérée comme sauvée en culture, et il devient donc envisageable d’organiser un retour vers l’Ile Maurice.


Culture in vitro  Cylindrocline © C. Gautier (CBN Brest)

 

Le retour en nature et la transmission des connaissances

 Au cours des années 2009-2010, de nouveaux contacts ont eu lieu avec les institutions gouvernementales et plus précisément le National Park Conservation Service (NPCS) qui mène depuis plus de 20 ans un long travail de préservation de la flore mauricienne afin d’envisager ce retour. De 2011 à 2024, différents programmes et financements ont eu lieu pour permettre le travail de retour vers l’Ile Maurice dans les meilleures conditions.

Huit colis de plantes ont pu être expédiés vers l’Ile Maurice, ce qui représente 288 plants et 300 vitro plants de Cylindrocline lorencei.

 


Cylindrocline lorencei mise en perlite pour envoi © C. Gautier (CBN Brest)

 

 

Les premiers colis ont permis d’établir le protocole d’envoi des plants avec les conditions de retour : type de matériel végétal le plus approprié (plants, vitro plants), taille des plants envoyés, conditionnement des plants en milieu inerte adapté, traitements phytosanitaires, permis d’importation, conditions de transports (température, obscurité, durée de voyage). Il a fallu également travailler avec nos partenaires mauriciens sur la prise en main de l’espèce une fois arrivée à l’Ile Maurice : conditions de réception des plantes à l’Ile Maurice, mise en quarantaine, acclimatation en pépinière, rempotage, maîtrise des nouvelles conditions de culture, essais de mise en pleine terre en pépinière.

Plusieurs années et colis tests auront été nécessaires avant de maîtriser pleinement toutes ces conditions. Les trois derniers colis expédiés ont pu alors être entièrement consacrés à ces essais de réintroduction.

Le premier essai de réintroduction en nature a eu lieu sur le site initial de Plaine Champagne où avait été trouvé les deux derniers plants. Trois plants ont été réintroduits en 2017 mais le milieu était semble-t-il trop modifié et perturbé par la présence de nombreuses espèces invasives et les plants n’ont pas survécu plus de 2 années.

En se basant sur les conditions de culture de l’espèce, le NPCS a alors identifié de nouveaux sites potentiels de réintroduction au sein de Conservation Management Areas (CMA), qui sont des espaces en nature délimités par des grillages, afin éviter la présence d’espèces animales indésirables et dans lesquelles les espèces végétales invasives sont arrachées pour permettre à la flore locale de se développer.

En 2019, 16 plants ont été réintroduits dans la CMA de Pétrin à titre expérimental. Les plants se sont bien adaptés pour la majorité, mais plusieurs pertes ont été observées par suite d’attaques d’achatines ou d’animaux sauvages (singes notamment). Cependant en 2024, 5 plants continuent de se développer.

En 2021, 19 plants ont à nouveau été réintroduits dans cette même CMA de Pétrin et en 2024, 12 plants sont toujours présents et se sont bien développés.


Cylindrocline lorencei réintroduit à Petrin en 2022 photo 2024 après 2 ans © C. Gautier (CBN Brest)

 

 

Ces premiers résultats d’introduction étant très satisfaisants, il a donc été décidé que l’année 2024 soit marquée par l’aboutissement du projet pour le Conservatoire botanique national de Brest avec l’expédition de 100 plants au mois de mai, dans l’objectif de réaliser des réintroductions en nature à grande échelle.

Début juillet 2024, un déplacement a eu lieu à l’Ile Maurice afin d’officialiser ce passage de relais. Lors d’une cérémonie organisée par le NPCS, en présence du ministre de l’Agroforestery et de nombreuses organisations agissant en faveur de l’environnement à Maurice, des plants de Cylindrocline lorencei ont été réintroduits à Pétrin et d’autres introduits dans des espaces semblables. Sur les 100 plants, 72 plants ont été placés à Pétrin, 10 à Florin et 10 à Plaine Champagne.

 

Réintroduction Cylindrocline lorencei le 04 juillet 2024 © MCB

 

 

Lors de cette cérémonie de plantation, un document réalisé par le CBN de Brest relatant les protocoles, allant de la culture in vitro aux expéditions et culture des plants de Cylindrocline lorencei, a été officiellement remis à M.  Mahen Sirattan, ministre de l’Agroforestery et à M. Suraj Gopal, représentant du NPCS.

À ce jour, les plants réintroduits en nature se portent bien. Les suivis sont réalisés par les agents NPCS et nous espérons voir dans les années futures des floraisons et des plantules.

 


Cérémonie officielle de réintroduction avec M. Mahen Sirattan © MCB